Les voitures volantes, entre espoirs et désillusions

La science-fiction prévoyait qu'en 2020, les citadins seraient déjà équipés de voitures volantes. Aujourd'hui, la technologie existe... Mais est-elle utilisable ?

Les voitures volantes, entre espoirs et désillusions

2263. Korben Dallas quitte son appartement, et monte dans le taxi qu’il conduit depuis qu’il a quitté les Forces Spéciales. Une voix synthétique l’accueille. "Veuillez insérez votre permis", dit-elle, avant d’ajouter "Bienvenue à bord, M. Dallas". Après un bref rappel du peu de points qu’il lui reste sur son permis, Korben regarde la porte de son garage s’ouvrir, et s’élance dans les rues de Brooklyn à bord de sa voiture volante. Comme la plupart des villes terrestres, New York est une mégalopole massive, où les gratte-ciels de plusieurs kilomètres de haut sont la norme. Korben manque d’avoir un accident à cause d’un chauffeur distrait, contemplant ce spectacle, mais évite de peu la collision. Face à un tel paysage, il est difficile de se concentrer... Et pourtant, on s’y habitue, à force d’y circuler, et la routine s’installe.

Scène du film Le Cinquième Élément, réalisé par Luc Besson
Scène du film Le Cinquième Élément, réalisé par Luc Besson

Cette scène du film Le Cinquième Élément, réalisé par Luc Besson en 1997, n’est pas la seule à mettre en scène des voitures volantes. Blade Runner, Retour vers le Futur, la prélogie Star Wars, nombreux sont les films et ouvrages de science-fiction à intégrer les voitures volantes dans leur univers en tant que technologies couramment utilisées.

Une technologie qui existe déjà ?

Le concept de voitures capables de se déplacer dans les airs n’est cependant pas récent, et est est apparue dans la première moitié du XXe siècle. A cette époque, la voiture personnelle est apparue, avec la Ford T. Après la démocratisation de ce moyen de transport révolutionnaire pour l’époque, la prochaine étape semblait être, de manière logique, la démocratisation de l’avion. Après la terre, les airs. En 1926, Henry Ford se lance dans le développement du sky flivver (littéralement tacot céleste), un petit avion monoplace à destination du grand public, mais le projet est abandonné à la suite d’un accident mortel en 1928. Malgré cet échec, il croyait toujours en cette idée, comme en témoigne son discours en 1940.

"Notez bien ce que je vais vous dire : la combinaison d’un avion et d’une automobile est en route. Vous pouvez sourire, mais cela viendra."

Durant la deuxième moitié du XXe siècle, plusieurs entreprises essayent de développer des avions compacts et faciles à piloter, ou des voitures capables de se transformer en aéronef. En parallèle de ces tentatives, la voiture volante est alors un thème récurrent parmi ceux qui imaginent le futur, appelés futuristes, ou parmi les auteurs de science-fiction. Philip K. Dick est l’un d’entre eux, avec son roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, publié en 1968 et adapté par Ridley Scott en 1982 avec Blade Runner. À l’an 2020 tel qu’imaginé par l’auteur, les forces de police et les personnes fortunées conduisent des Spinners, ou autoplanes, qui peuvent être conduits sur des routes ou se déplacer dans les airs.

Scène du film Blade Runner, réalisé par Ridley Scott. Les voitures volantes sont le moyen de déplacement des policiers.
Scène du film Blade Runner, réalisé par Ridley Scott. Les voitures volantes sont le moyen de déplacement des policiers.

Pendant des dizaines d’années, le thème des voitures volantes a donc inspiré des auteurs, des réalisateurs, des ingénieurs et bien d’autres. Où en est-t-on aujourd’hui ? Avec les technologies actuelles, il est possible de distinguer deux "types" de véhicules se rapprochant des voitures volantes.

Premièrement, il existe déjà des "voitures volantes" qui sont à mi-chemin entre l’automobile classique et l’avion. Possédant la faculté de rouler sur les routes, elles sont généralement utilisables en tant que voiture normale. Leur particularité réside dans le fait qu’elles ont des ailes qui leur permettent de s’envoler. Généralement repliées lorsque le véhicule est dans sa forme terrestre, il suffit de quelques manipulations pour le transformer en un véritable aéronef. Cependant, si ces véhicules permettent de pouvoir choisir entre la route et les airs, une utilisation dans un environnement urbain semble compliquée. Il n’est en effet pas possible de faire des manœuvres rapides ou des virages serrés à 90°, qui sont essentiels pour naviguer en ville. Comme un avion classique, une telle voiture volante a besoin d’une piste, ou à défaut de suffisamment d’espace pour décoller et atterrir. Une voiture-avion ne remplit donc pas les conditions requises par l’environnement urbain, qui est pourtant l’endroit où elle pourrait être le plus utile.

Face à ce problème, une solution possible pourrait être la technologie VTOL, Vertical Take-Off & Landing (décollage et atterrissage vertical). Grâce à cette technologie qui utilise des rotors ou des réacteurs, il devient possible de décoller verticalement, sans avoir besoin d’espace dédié ou de piste de décollage. C’est un avantage majeur en ville, étant donné qu’il devient possible d’aller n’importe où, à condition d’avoir un endroit où se poser. C’est car cette technologie est très avantageuse que de nombreuses entreprises décident de se tourner vers les "voitures-drones". Propulsées par des rotors, comme leurs confrères de plus petite taille, ces voitures volantes ont le potentiel pour devenir un nouveau moyen de transport urbain. Récemment, la société de partage de véhicules Uber a d’ailleurs annoncé vouloir mettre en place un réseaux de voitures volantes à Los Angeles et Dallas dès 2023, en commençant les tests au cours de l’année 2020.

Voiture volante ©  Uber
© Uber

Cette prometteuse activité de taxi volant pourrait précéder une démocratisation de ces véhicules pour le public, mais quelques problèmes subsistent.

Un moyen de déplacement aux nombreux enjeux

Tout d’abord, manier ces véhicules est plus complexe que de conduire une voiture, pour la simple raison qu’en plus du plan horizontal, il faut aussi prendre en compte le plan vertical. Rajouter une dimension complique nécessairement la conduite. Ainsi, il faudrait avoir des compétences de pilote pour réussir à maîtriser ces engins. Bien que les algorithmes de conduite   soient en développement grâce aux progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle, transposer cette automatisation dans les airs semble irréaliste, du moins à court ou moyen terme.  Qui imaginerait donner le contrôle d’un appareil volant à une intelligence artificielle, quand cette dernière requiert toujours le contrôle d’un humain sur la terre ferme. Même en prenant en compte tous les progrès possibles, la verticalité est un obstacle supplémentaire qui semble difficile à surmonter.

Ensuite, certains problèmes techniques sont encore à résoudre, comme la question du stockage de l’énergie. Faire décoller une voiture volante nécessite de propulser dans les airs plusieurs centaines de kilos , voire plusieurs tonnes, ce qui consomme beaucoup plus d’énergie que pour une voiture classique. Or, comme ces aéronefs sont limités en taille pour rester utilisables en ville, la source d’énergie est plus faible, et des compromis doivent être faits sur l’autonomie. Si un tel véhicule ne peut voler que 10 minutes avant de devoir être rechargé, son utilité est grandement réduite.

Et quand bien même nous arriverions à résoudre ces problèmes, nous sommes encore loin des voitures volantes du Cinquième Élément ou de Blade Runner, qui utilisent des technologies avancées, dont l’existence n’est même pas prouvée. Par exemple, les Spinners de Blade Runner fonctionnent en partie grâce à un moteur antigravitationnel. Or, si des expériences ont été menées pour déterminer si l’anti-matière pouvait être la source d’une éventuelle anti-gravité (CERN), elles n’ont pas mené à des résultats concluants, qui prouveraient l’existence d’anti-gravité.

Magazines parlant de voitures volantes, des années 1930 aux années 2010
Magazines parlant de voitures volantes, des années 1930 aux années 2010

Les enjeux d’une telle technologie sont importants. Cela pourrait mener à une redéfinition de l’espace urbain, et changer radicalement la façon dont nous nous déplaçons. Le taxi volant est déjà en cours de développement, notamment grâce à Uber et Airbus. Néanmoins, si le concept existe depuis plusieurs dizaines d’années, rien ne semble indiquer que des voitures volantes seront un jour disponible pour tout un chacun, à un prix accessible. Le fait que l’espace aérien pourrait devenir dangereux si tout le monde y avait accès sans restrictions ne fait qu’accentuer ce doute. Au fil des années, nombreux sont ceux qui ont exprimé leur désillusion sur les voitures volantes, en s’exclamant "Where’s my flying car ? ". En y regardant de plus près, on peut remarquer que beaucoup de personnes ne veulent pas des voitures volantes, mais leur voiture volante. Ce nouveau moyen de transport, comme la voiture classique en son temps, semble être l’incarnation du futur, mais aussi d’une liberté nouvelle. Se libérer de la contrainte de la gravité pour avoir les airs comme nouveau territoire à explorer est attirant. Être aux commandes de l’engin qui permet cela l’est encore plus. Mais est-il seulement possible de promettre cela ?

La voiture volante "tout-public" serait peut-être une chimère, la vision d’un futur dépassé depuis longtemps, que nous n’atteindrons sûrement jamais car déjà derrière nous. Avons-nous réellement besoin de ces aéronefs ? Un tel moyen de transport est peut-être condamné à rester dans la fiction, cette fiction dont nous aimons tant nous inspirer. Si cela est le cas, il faut avancer avec prudence, pour à ne pas se mettre à fantasmer sur des futurs qui n’arriveront jamais. Cela ne peut mener qu’à des déceptions, voire à une obstination qui empêche le réel progrès. S’inspirer de la fiction est une chose, mais faut-il pour autant essayer de concrétiser toutes les idées évoquées dans ces univers, par définition imaginaires ?

Même si il est très peu probable de les voir un jour dans nos garages, le sujet des voitures volantes est et rester une source d’inspiration inextinguible pour créer le monde de demain, et réfléchir aux enjeux de la mobilité dans notre société.


Sources