L’IA différenciative : interview de Laetitia Audouin

L'IA différenciative prend en compte les données des expériences passées et de la situation présente pour résoudre des problèmes plus complexes que l'IA classique. Pour comprendre, nous avons interviewé Laetitia Audouin, cofondatrice de Cleverm8.

L’IA différenciative : interview de Laetitia Audouin

L’IA et les technologies qui la constituent sont amenées à transformer le monde professionnel et à permettre aux entreprises de construire de nouvelles propositions de valeur. Nous avons rencontré Laetitia Audouin, alumni d’emlyon business school et cofondatrice de Cleverm8, start-up accompagnée par Starburst, qui propose des solutions fondées sur l’intelligence artificielle différenciative Contrairement à l’IA classique qui s’entraine uniquement avec les données de situations passées, l’IA différenciative intègre en plus les données de la situation présente. Cela lui permet de s’adapter automatiquement à des situations inédites pour lesquelles on ne disposait pas de données d’apprentissage.

Qu’est-ce que l’intelligence artificielle (IA) différenciative ?

La différence majeure est que l’IA différenciative permet d’automatiser des tâches plus complexes et surtout imprévues. Cela est lié au fait que l’IA différenciative pense comme un humain et non comme une machine. L’homme est capable de distinguer : par exemple, devant une foule de visages, on sait retrouver ceux de nos amis en un clin d’œil, car les humains se focalisent sur les singularités. L’intelligence permet l’abstraction, qui consiste à séparer ce qui est lié dans la réalité.

L’IA classique est pertinente pour automatiser des tâches répétitives. Elle fonctionne par recherche de similarités entre les données reçues et les données intégrées. Elle n’est pas capable de s’adapter à de nouveaux événements si ces événements ne font pas partie d’un schéma déjà appris. L’IA différenciative fait exactement l’inverse : elle recherche les différences entre les données qui arrivent et les exemples de données représentatifs de comment la situation à traiter peut varier. Elle peut trouver de bonnes solutions face à des situation inédites.

Concrètement, comment cela fonctionne ?

Chaque solution de Cleverm8 se base sur un mécanisme de pensée en particulier. Prenons l’exemple de l’induction : l’humain n’a pas besoin de vivre des centaines de fois la même situation pour se créer un « modèle » de traitement. Par exemple, traverser quelques fois la rue nous suffit à comprendre le principe.

Pour un modèle d’IA différenciative basé sur l’induction, c’est-à-dire la généralisation d’un raisonnement, on analyse comment un humain traite chaque situation : on les décortique pour comprendre les éléments qui la font varier d’un cas à l’autre. On prépare un échantillon d’exemples suffisamment variés pour comprendre cette variation. Ces « fiches exemple » nourrissent le modèle, pour que celui-ci intègre l’étendue des variations de la situation (même les fameux edge-cases, c’est-à-dire les situations qui ne se produisent que lorsqu’un paramètre de fonctionnement est à un extrême). C’est donc comme si le modèle avait la même expérience qu’un humain. Lorsque la situation en entrée est inédite, l’algorithme propose la ou les solutions les plus pertinentes. Par rapport au Machine Learning et Deep Learning, l’IA différenciative apporte donc la capacité à s’adapter, distinguer et nuancer en fonction de la variété des données.

Le travail consiste donc à modéliser mathématiquement des raisonnements cognitifs pour en faire ensuite des algorithmes.

Nos solutions ont notamment été déployées dans une grande banque, pour valider ou infirmer des alertes émises sur des virements. Quatre solutions de Machine Learning et Deep Learning ont été testées par la banque, mais elles généraient 98% de faux positifs. Donc la banque disposait d’une équipe de plus de 100 consultants qui revalidaient à la main ces alertes, rien que pour la France.

C’est un domaine où il n’y a pas le droit à l’erreur pour des raisons légales, mais qui est en même temps très difficile à automatiser de façon fiable. En effet, il y avait une très grande variété de problèmes à traiter, avec de l’incertitude dans la validité des données. Et ce en sachant que la densité des vraies alertes à détecter est infime par rapport au flux global de transactions. Pour résoudre ce problème, nous avons chez Cleverm8 commencé par améliorer les solutions mises en place, en apportant de la différenciation en entrée et en sortie, et en combinant plusieurs algorithmes pour mieux prendre en compte la variété et l’ambiguïté des données à traiter.

Résultat : diminution de 75% du flux d’alertes transmises aux agents pour validation, une solution 4 fois meilleure que la solution Deep Learning mise en place avant notre intervention, avec un taux de fiabilité de 99,99% des alertes directement traitées par la machine, soit un taux supérieur à la fiabilité humaine.

Comment ça se passe chez Cleverm8 ?

Nous sommes sept et avons chacun des compétences complémentaires : en modélisation mathématique, en programmation, dans la compta/ RH/ opérationnel interne, en marketing/vente. La répartition s’est faite de façon très naturelle. Chacun travaille dans son domaine. Quatre personnes créent et améliorent les algorithmes. L’enjeu est de prioriser les tâches tant il y a de choses à faire.

Depuis le début nous avons fait le choix de chercher des financements français ou européens. L’objectif est de garder les cerveaux et les entreprises de nouvelles technologies en France. En effet avec les investissements américains, il arrive bien souvent que le siège soit ensuite déplacé aux US. Notre ambition est de participer à faire émerger une vision européenne de l’IA, plus éthique et plus humaine.

Pour le moment Cleverm8 se finance de façon presque exclusivement privée, avec une levée de fonds prévue pour le deuxième semestre 2020.

Pendant un an et demi nous avons développé 4 algorithmes qui sont maintenant fonctionnels. Pendant ce temps la trésorerie était principalement alimentée par les missions de conseils que je réalisais, pour compléter nos premiers projets pilotes. Aujourd’hui nous nous lançons dans notre déploiement commercial. Le produit étant complexe, le développement se fait par un marketing de contenu avec une stratégie axée sur la formation à l’IA différenciative et aux limites de l’IA statistique, et en clarifiant le positionnement de la boîte. Je fais donc principalement de la de vente au quotidien. C’est quelque chose d’assez nouveau car en école de commerce, on apprend beaucoup de choses théoriques autour de l’entreprise mais on n’apprend pas à vendre concrètement. Je me suis donc entourée de mentors qui m’apprennent à challenger mes prospects sur leurs enjeux et à gagner en crédibilité. Finalement, ce n’est pas tellement une stratégie de vente mais plutôt d’accompagnement et de conseil pour obtenir un closing qui va de soi.

Tu es une alumni de l’EM, qu’est-ce que tu aimerais dire aux étudiants ?

J’ai fait le programme IDEA (Innovation, Design, Entreprenariat et Arts), en plus du PGE et j’étais au Noise puis à Smart Up. Je me rends compte à quel point il est important de profiter des opportunités que l’on a de s’ouvrir au monde extérieur en école. Il faut profiter des intervenants extérieurs, se lancer dans les projets qu’on peut vous proposer, qu’ils soient associatifs ou avec le maker’s lab par exemple, profiter des assos pour entrer en contact avec des personnalités et des partenaires incroyables. Tout ce que vous faites en plus des cours vous donne plus d’assurance pour la vie professionnelle, surtout dans le contexte actuel où il faudra bien plus en vouloir, avoir la niaque.

Je voudrais ajouter que l’on a besoin de profils école de commerce dans les entreprises très tech et Deep tech. Et plus particulièrement on a besoin de plus de femmes et de diversité. Je vous encourage à vous intéresser à ce secteur qui  pour le coup ne risque pas d’être automatisé tout de suite, contrairement à certains métiers de la finance dont on entend tant parler en école de commerce, bien que ce soit moins le cas à emlyon !

Propos recueillis par Amaury Duhesme


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©Clevermate ; https://cleverm8.com/

A propos de Clevermate : Co-Fondée en 2018 par Laetitia Audouin, Alexandre du Sordet, deux alumni d’emlyon business school et de Centrale Lyon, ainsi que par Jean Pierre Malle, expert en IA et sciences cognitives, la start-up propose une solution innovante d’automatisation des tâches qui varient selon les circonstances ainsi que de traitement des cas exceptionnels grâce à l’intelligence artificielle différenciative. Pour en savoir plus sur l’IA différenciative, n’hésitez pas à aller faire un tour sur leur blog !